Vous avez du courrier 📫
#32 N’oublions pas ce qui fait de nous des êtres uniques et passionnants
📼 2001 à aujourd’hui.
Début juillet 2001, j’ai 7 ans.
Il y a peu, papa a vendu notre maison et a acheté une ferme en ruine qu’il regarde depuis des années par la fenêtre.
Nous avons déménagé à 200 m.
Ici, il n’y a rien.
La végétation monte jusqu’à la toiture.
Il n’y a pas de maison habitable.
Tout est délabré.
Papa a l’air le plus heureux du monde à l’idée de retaper la maison de ses rêves.
Maman a l’air un peu inquiète à la vue du chantier faramineux qui s’annonce.
Axel, mon petit frère de 3 ans, et moi, regardons l’immense terrain de jeu qui s’offrira à nous d'ici à quelques années.
En attendant, nous allons vivre dans un mobile-home au bord de la rivière.
C’est petit, mais chaleureux.
On a un salon avec cuisine, une salle de bain, une chambre pour papa et maman, et une miniiii chambre pour Axel et moi qui se résume à une pièce où le lit superposé prend tout l’espace.
Le salon baigne dans le soleil et parfois, le soir, papa joue de la guitare pendant qu’on se chauffe au pétrole.
Les courriers de Marie 💌
Parfois, papa ressort toutes les archives qu’il a gardées de ses ancêtres.
Les vieux journaux, les papiers militaires, la gourmette de la Marine nationale, les photos de mes grands-parents que je n’ai jamais connus.
J’adore regarder ces archives.
J’ai l’impression de tisser un lien avec ces personnes de ma famille.
Ensemble, on s’amuse à recréer notre arbre généalogique.
J’aime l’odeur du vieux papier qui contient tant d’histoire.
Mais il y a un autre papier qui me procure tout autant, voire plus de plaisir.
Le courrier qui m’attend dans la boîte aux lettres.
J’ai 7 ans, et cet après-midi, ma copine Marie a glissé une lettre à mon attention dans la boîte aux lettres.
Je sors en courant pour aller la chercher.
J’y lis un résumé de notre journée d’hier, entre meilleures amies.
Je cours dans le mobile-home, je prends mon meilleur papier à lettres Diddl et je lui réponds.
Mon courrier est beau, sent bon, est bien écrit.
Alors je prends soin de le glisser dans une belle enveloppe, à la hauteur de l’amour que je veux offrir à ma meilleure amie.
Le lendemain, je lui offre à l’école.
Elle la lit avec émotion, je me sens heureuse.
Avec mes amies, on adore s’écrire des lettres.
On a beau être jeunes, on ne met aucun voile sur les sentiments que l’on ressent les unes envers les autres.
D’une lettre suspendue à une corde à du courrier envoyé dans le monde entier. 🗺
Depuis que l’on a investi notre maison, j’écris tous mes sentiments sur papier.
Souvent, j’écris des lettres de mécontentement ou des demandes qui me font peur.
J’attache mon courrier à une ceinture de peignoir et je le fais descendre au rez-de-chaussée depuis le 1er étage.
J’attends que mes parents le ramassent.
Plus tard, j’ai créé une boîte aux lettres à l’aide d’une boîte à chaussures que j’ai déposée à côté de la porte d’entrée.
J’ai pris soin de déposer du papier et des stylos pour que nos invités m’écrivent un petit mot.
Ça me rend si heureuse.
En primaire, j’ai commencé à avoir des correspondants.
D’abord d’autres écoles du département, puis d’autres pays.
Au collège, je découvre Google.
De fil en aiguille, je découvre des sites dédiés à la correspondance.
Papa et maman ne le savent pas, mais j’y ai noté mes coordonnées… dont mon adresse postale.
Oui, ce n’est pas bien.
Mais j’ai reçu des lettres magnifiques.
De Suisse, du Japon, d’Irlande, du Ghana…
Leo, au Japon.
Je rencontre Leo Takeda, mon premier correspondant longue durée.
Ses lettres sont soignées, belles, illustrées.
Nous apprenons à nous connaître et pratiquons notre anglais ensemble.
Je reçois du papier à lettre illustré avec des grenouilles.
17 ans après, je m’en souviens encore.
Leo est devenu un ami.
Par le courrier, puis par Skype.
J’ai découvert sa maison, ses parents, suivi ses études jusqu’à son déménagement en Russie.
Et le jour où j’ai eu un premier petit copain, il y a eu une fracture.
Comme moi, on avait tissé un lien très fort par courrier. 😂
Saoirse en Irlande.
Plus tard, je rencontre Saoirse Casey.
Jeune étudiante irlandaise.
Nous partageons la même passion pour la musique.
Son père est un musicien plutôt connu en Irlande (Paddy Casey).
Au fil des années, je l’ai vue composer et sortir son premier album, qu’elle m’a envoyé par La Poste et que j’ai toujours dans ma voiture aujourd’hui.
Ivan en Russie.
Plus tard, au lycée, j’ai rencontré Ivan.
Étudiant russe en économie à Moscou.
Au fil des lettres, on a assez peu appris à se connaître, mais on a surtout comparé nos pays, parlé de sa vision de Poutine.
Aujourd’hui, il a quitté le pays et vit en Europe de l’Est pour son métier.
Ramesha au Sri Lanka.
Ma plus belle rencontre, c’est Ramesha.
Nos petits courriers se sont vite transformés en romans.
Chaque mois, nos courriers traversaient le monde, entre la France et le Sri Lanka.
Nous nous sommes parlées comme de vraies amies.
De nos parents, de nos parcours, de nos hontes, nos questionnements, nos peines.
On est vite devenues très proches.
Bizarre, de ressentir ça par courrier.
Puis les lettres sont devenues des messages WhatsApp.
Et les messages WhatsApp, une vraie rencontre au Sri Lanka presque 10 ans après.
C’est comme si on s’était toujours connues.
On a passé du temps ensemble, cuisiné avec sa mère et sa grand-mère.
Et lorsque je suis repartie, en janvier 2020, le Covid et les tensions politiques lui ont fait perdre son travail, qu’elle n’a jamais retrouvé aujourd’hui.
On a des vies totalement différentes, mais le courrier nous a permis de tisser des liens forts.
Aujourd’hui, on se soutient dans toutes nos épreuves.
Thomas.
Puis, il y a eu Thomas.
Avec Thomas, on s’est rencontré au lycée.
J’étais en Seconde, lui en 1ère L.
Et comme lui, j’étais passionnée de littérature.
Quand je lisais Musset, tout mon corps se mettait à vibrer. Chaque mot me faisait ressentir une multitude d’émotions.
Je lisais tellement que je me rêvais à passer les portes des salons littéraires du XIXᵉ siècle.
Je fermais les yeux bien forts pour m’imaginer Femme de lettres.
J’avais envie de ressentir en vrai tous les sentiments que j’éprouvais au travers des livres.
Alors, lorsqu’il a déménagé, nous nous sommes promis de nous écrire.
Tous les mois, nous nous écrivions de longs courriers de plusieurs pages, pour parler de nos quotidiens, de nos lectures du moment, de politique, de paysages à découvrir.
À chaque lettre, j’avais l’impression de devenir plus cultivée.
Je ne sais pas si j’apportais beaucoup de culture à nos conversations, surement beaucoup moins que ce qu’il m’apportait, car j’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour son savoir.
Mais ces lettres m’apportaient beaucoup.
Un ami cher, de l’introspection, l’émotion et l’intimité des mots, une remise en question philosophique et politique.
J’avais l’impression qu’à la lecture de chaque mot, j’avais des fourmillements dans tout mon corps et le sentiment de grandir.
Avec le temps, nos chemins se sont séparés.
Thomas est parti en études de journalisme.
Moi, en sciences politiques.
On s’est revus en 2017 dans un restaurant à Paris.
Il était en stage chez La Croix, moi chez Microsoft.
J’ai eu honte de ma culture. J’avais l’impression d’être devenue un produit du capitalisme, forte en communication et marketing, éloignée de la littérature.
Puis nous avons tous les deux entamé une relation amoureuse (pas ensemble hein 😂).
Lorsque je recevais ses lettres, j’avais l’impression de devoir me cacher pour les lire et y répondre (alors qu’il n’y avait zéro souci !).
C’est juste qu’un courrier, c’est intime, peu importe ce qu’on y écrit.
J’ai l’impression qu’on y met tout notre être.
Des sentiments et des pensées que personne d’autre ne pourra lire.
Et petit à petit, notre correspondance épistolaire s’est essoufflée, par ma faute.
Je m’en veux toujours aujourd’hui, bien que l’on soit resté un peu en contact ces derniers temps via Instagram. Ce n’est plus pareil.
Depuis ce jour, je n’ai jamais réécrit de lettres, mais j’ai tout conservé.
Ma boîte à courrier. 📫
J’ai créé une boîte à chaussures remplie de tous les courriers reçus depuis mon enfance.
J’en ai surement perdu une bonne partie, mais lorsque je m’y plonge, je revis les meilleurs moments de ma vie.
Je dis souvent, avec honte, que je n’ai pas de passion dans la vie.
Je pense que je l’ai juste oubliée avec le temps, car si tu m’as lu aujourd’hui, tu as peut-être ressenti ma passion pour le courrier.
Cette édition était différente de d’habitude.
Elle ne parle ni de travail, ni de santé mentale, ni d’introspection.
Elle parle de hobbies, qui est un pan de la vie que l’on a tendance à oublier.
En grandissant, nos vies se recentrent sur les réalités du quotidien : les obligations.
N’oublions pas ce qui fait de nous des êtres uniques et passionnants : nos centres d’intérêt tout aussi variés et bizarres qu’ils puissent être.
Si tu me lis et que tu te demandes comment j’ai trouvé mes correspondants, je crois que j’avais commencé avec le site https://www.penpalworld.com/. À l’époque, il n’y avait aucune notion de photo de profil et je pense que cela permettait de s’ouvrir à de nouvelles personnes sans arrière-pensée, ce qui est plus délicat aujourd’hui.
Si tu as lu mon texte improvisé 1h avant l’envoi (d’où le retard) et sorti droit de mon cœur, tu peux commenter en me disant si tu as déjà eu, ou non, des correspondants (même à l’école primaire) ou me parler de tes hobbies et centres d’intérêt. J’aimerais apprendre à mieux te connaître. 🧡
Je te souhaite une excellente semaine,
Margaux
Cet épisode a été agréable à lire et m'a rappelé la nostalgie de mes propres correspondances !
J'ai eu quelques correspondantes, deux d'entre elles, m'ont marqué, car on avait exactement les mêmes passions bizarres (le tarot, l'écriture, la spiritualité)... Malheureusement, l'une d'elle fût décédée dû au Covid ='(
Te lire me donne envie de reprendre la correspondance, je vais voir ce que je peux y trouver sur ton site !
Bonsoir Margaux,
J’ai toujours trouvé agréable de recevoir (et attendre) un courrier ! J’avais une correspondante en CE1 mais je n’ai pas réussi à garder le contact …
Par contre avec ma « binôme » de la fac (parce que quand il fallait être deux pour les TP on se mettait toujours ensemble) nous avons du emménager à plusieurs kilomètres l’une de l’autre par nécessité professionnelle. Au début nous nous donnions des nouvelles par sms ou mail mais c’était pas pareil. Puis j’ai lu les lettres entre Colette et sa mère et ça a fait tilt ! Mais oui on peut s’écrire des choses de tous les jours par courrier. Maintenant on correspond par courriers et j’avoue que c’est agréable de se poser et de s’écrire des romans sur nos quotidiens. On a pas un rythme régulier mais on arrive a prendre un peu de temps pour le faire. C’est tellement agréable d’écrire et de recevoir que je ne reviendrai pas aux Sms 😉